L’avenir du NFC passe par le smartphone et le développement des usages
Septembre 2013 - Paru dans Solutions&Logiciels N° 41 – Voir le sommaire du numéro
Mon cher ami ! on m'a privé de toi ; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde : sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus ; je me meurs, je suis mort, je suis enterré.” Ce pourrait être les mots d’un malheureux qui vient de perdre le smartphone NFC dernier cri, même s’ils sont prononcés par Harpagon dans l’Avare de Molière à propos de sa cassette contenant son cher argent : 36 modèles de mobiles NFC Cityzi (nom de la principale initiative de déploiement des services NFC en France, initiée à Nice en 2010, aujourd’hui dans plusieurs villes) sont commercialisés en France, selon l’observatoire NFC de mai 2013. Leurs 3 331 000 possesseurs qui, pour la plupart, ont des composants NFC dans leur smartphone à l’insu de leur plein gré, ignorent tout des merveilleuses simplifications qu’apporte la technologie NFC (Near Field Communication) dans leur vie quotidienne.
Le couteau suisse du 21e siècle
Ainsi, Paul Meyer, conseiller municipal de Strasbourg délégué à la ville numérique, n’hésite pas à affirmer : “Nous bâtissons un écosystème regroupant de multiples services autour du couteau suisse du 21e siècle, j’ai nommé le smartphone. Les usages de la technologie NFC sont émergents.”
Ô joie, ô bonheur ! Désormais, oyez, braves gens, il y a des chances d’utiliser les transports en commun, lire des informations locales ou payer votre café via un smartphone NFC… si l’on habite dans les villes pilotes, comme Nice, Caen, Bordeaux ou Strasbourg. “Titres de transport, moyens de paiement, cartes de fidélité et informations pratiques, tout est accessible depuis votre mobile en un seul geste !” clame le site Internet de Cityzi. Reste le problème de l’œuf et la poule : le consommateur l’ignore parce que son opérateur télécom ne le met pas en avant, car il attend qu’une palette de services assez large existe pour le faire. Mais comme on regarde les résultats des premiers services pour lancer les suivants, si les citoyens ne savent pas qu’ils peuvent les utiliser, on tourne un peu en rond !
Soutien financier du gouvernement
Pourtant, les forces vives de la Nation le gouvernement, en la personne de Fleur Pellerin ministre de l’Innovation et de l’Economie numérique soutient 15 projets de déploiement de services mobiles sans contact portés par 14 territoires, dans le cadre des Investissements d’Avenir (26 millions d’euros d’aide de l’Etat). L’Association Française du Sans Contact Mobile (AFSCM), fondée par les trois principaux opérateurs de téléphonie mobile en avril 2008 (5 ans déjà, si, si !) rassemble aujourd’hui 25 membres, opérateurs de téléphonie mobile, fournisseurs de service sans contact, industriels et prestataires techniques. Elle a pour objectif de faciliter le développement technique et de promouvoir les services sans contact mobile.
Une schizophrénie assumée ?
Mais visiblement, les personnes membres de l’AFSCM n’ont aucun contact avec les commerciaux des opérateurs de téléphonie mobile, un comble à la limite de la schizophrénie pour des sociétés qui vendent de la communication ! Nous avons pris au hasard l’un des 36 modèles NFC (pour les adorateurs de la marque à la pomme, attention il n’y a que des mobiles Android, BlackBerry ou OS Bada), le LG Optimus 7, et sommes allés dans la boutique en ligne de SFR : à aucun moment il n’est dit que ce téléphone est NFC dans les spécifications. Dans celles de Bouygues Telecom, c’est mentionné au détour d’une phrase, sans explication ou lien vers le site de Cityzi. Seul Orange explique à quoi ça sert dans son descriptif.
Quelques services concrets
Cela n’empêche pas quelques pionniers de tracer leur petit bonhomme de chemin. Les 26 et 27 juin derniers, des collectivités européennes pilotes ont échangé autour de leurs expériences lors du Forum des services mobiles sans contact à Strasbourg. La ville de Caen-la-mer enregistre 200 000 connexions mensuelles à l’application d’informations sur les horaires de transport public, dont 10% sont effectués en NFC, le smartphone s’approchant du valideur. Une carte NFC est utilisée dans les écoles maternelles et primaires pour la cantine, le pointage, l’inscription aux sorties (généralisation en 2014). Les divers services mobiles sans contact ont nécessité un investissement de 3,6 ME, grâce à différentes subventions.
Bordeaux bascule progressivement les lecteurs en paiement sans contact de certains équipements : piscine, patinoire, contrôle d’accès au centre historique… Les horodateurs seront aussi adaptés à l’avenir. Une consultation est en cours pour élargir le bouquet de services “Bordeaux en poche”. Sept collectivités de Bretagne, dont Rennes, veulent offrir un même niveau de services dans la carte NFC ou le téléphone mobile, avec un objectif de “carte universelle” pour tous les services de la vie quotidienne au niveau régional. Mulhouse a un projet d’informations à destination des touristes et teste la technologie NFC au 4e trimestre 2013 à la Mairie et au centre équestre.
A l’étranger, la ville finlandaise d’Oulu propose depuis 2005 une gamme de services NFC qui s’étend progressivement : billettique transport, parking, pointage des heures des conducteurs, services au restaurant, au théâtre, tags d’information locale, et services pour la petite enfance. Les horaires d’entrée et de sortie des jeunes enfants sont gérés à travers Daisy, une application sur smartphone NFC donnée aux 1000 employés des crèches qui sert aussi à gérer leur temps de travail. A Milan, la “Tim Wallet” du nom de l’opérateur télécom italien Tim, a été lancée le 18 février 2013, permettant le paiement via un smartphone Android NFC auprès des commerçants équipés de lecteurs Visa sans contact. Une application NFC est prévue pour l’exposition universelle dans la capitale lombarde en 2015. Smart Madrid donne des informations touristiques et de transport public dans la capitale espagnole, combinant NFC et QR Code.
Les écueils
Deux inconvénients possibles viennent à l’esprit de l’observateur extérieur, sans compter les doutes émis par certains sur de potentielles failles de sécurité. Les smartphones étant conçus comme des produits de consommation courante par les constructeurs sont pourvus de batteries à obsolescence programmée. Donc, comment fait le citoyen pour se connecter aux services sans contact quand il est à court de batterie ? Seuls certains types de services, fondés sur la dématérialisation de la carte de fidélité ou de transport, continuent à fonctionner. Au revoir la lecture d’informations et le paiement… “A vot’ bon cœur m’sieur dame, j’ai plus de batterie !”.
Autre inconvénient qui semble peu considéré par les collectivités, simple dommage collatéral puisqu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs : la RATP nous a raconté, à l’occasion de l’article sur l’automatisation de la ligne 1 l’année dernière, que d’aucuns mettent leur vie en péril en descendant sur les voies du métro parisien pour récupérer leur précieuse béquille téléphonique qu’ils avaient malencontreusement fait tomber, le nombre d’accidents graves de voyageurs pourrait incidemment augmenter si désormais le smartphone contient le titre de transport et la carte bancaire… Rappelez-vous si cela vous arrive : un smartphone, ça se remplace ; une vie, non, un membre, difficilement, l’homme bionique coûtant encore très cher.
C’est quoi la technologie NFC ?
La technologie NFC (Near Field Communication), ou communication en champ proche est une technologie de communication sans-fil à courte portée (quelques centimètres) qui existe depuis plusieurs années. Mais comme la RFID (identification par radio-fréquence) dont elle est un sous-ensemble utilisant la haute fréquence, elle peine à s’installer dans les mœurs, même s’il existe déjà 36 modèles de smarphone NFC, des cartes d’abonnement au transport public NFC, comme à Strasbourg, et 14,2 millions de cartes de paiement NFC (émises par des banques, des distributeurs) sans pour autant que leurs détenteurs sachent de quoi il retourne ! A noter, après une offre de lancement gratuite, les applications de paiement par carte dématérialisée sur smartphone sont payantes. Pour les paiements supérieurs à vingt euros, un code est nécessaire.
La CUS pousse à la roue
La très poétiquement nommée CUS (Communauté Urbaine de Strasbourg), hôte du forum des services mobiles sans contact en juin 2013, en a profité pour faire la démonstration de ses nouveaux services, avec test d’utilisation de smartphone NFC.
Certains commerçants et restaurateurs strasbourgeois se sont équipés de lecteurs de carte bancaire NFC, permettant de payer par carte ou smartphone NFC, si on a téléchargé l’application ad hoc. Le service a fonctionné sans problème lors de la démonstration. 6000 commerçants sont dotés de lecteurs de cartes bancaires NFC dans le Bas-Rhin. Le 26 juin était la date du lancement officiel du paiement des transports en commun par smartphone, intriguant quelques usagers, les autres restant plus préoccupés par leurs petits tracas quotidiens.
Le paiement du stationnement a été plus laborieux, car il a fallu trois horodateurs avant que le paiement via smartphone ne fonctionne. Toutefois, Strasbourg indique que 21% du montant total des paiements aux horodateurs sont réalisés par carte bancaire, avec ou sans contact.
La CUS fait preuve d’une pudeur de jeune fille quand il s’agit de donner des budgets. Alain Caffart, DSI de la Compagnie des Transports Strasbourgeois, rompt le silence en disant que l’investissement dans l’application NFC a coûté un million d’euros. Les changements au niveau des horodateurs ont coûté 300 000 euros.